C’est une démarche inédite. La députée socialiste Céline Thiébault-Martinez a présenté le 24 novembre une proposition de « loi intégrale de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants ». Soutenu par une centaine de députés (à l’exception du RN et de l’Union des forces pour la République), ce texte de 78 articles a été déposé à l’Assemblée nationale. Il s’inspire des 140 recommandations formulées il y a un an par la « coalition féministe pour une loi intégrale » qui regroupe quelques dizaines d’organisations.
L’objectif ? « Refuser de laisser chaque gouvernement arriver avec sa formule magique pour les droits des femmes, avec des micro-ajustements ponctuels alors même que les besoins sont immenses, structurels, systémiques », a expliqué la députée socialiste. En dix mois, plus de 30 auditions (d’associations spécialisées, de syndicats, d’avocats, de magistrats, de professeurs de droit, d’institutions, d’acteurs de terrain) et une vingtaine de réunions de travail ont permis de consolider ces propositions.
Le constat est alarmant : entre 2017 et 2023, les faits enregistrés de violences sexuelles ont augmenté de 282 % sans que la réponse pénale ne progresse au même rythme.
Sur les 78 articles, huit concernent spécifiquement le droit du travail. « 9 % des viols ou tentatives de viol ont lieu sur le lieu de travail, 30 % des salariés ont déjà été harcelés ou agressés sexuellement sur le lieu de travail et 70 % des victimes ne veulent pas en faire part à leur employeur », détaille Myriam Lebkiri, secrétaire confédérale de la CGT, responsable de la commission égalité femmes-hommes.
Parmi les raisons invoquées, « les employeurs ne sont pas aidants, et même pour 40 % des victimes, ça s’est réglé en leur défaveur », ajoute-t-elle. « On a absolument besoin que la protection des victimes soit effective et qu’il y ait des sanctions prises à l’égard des employeurs qui ne remplissent pas leurs obligations ».
Le texte renforce les obligations de négociation collective en entreprise en y intégrant explicitement la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Cette thématique sera ajoutée aux négociations obligatoires portant sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes et sur la qualité de vie et les conditions de travail (article 39).
La formation des salariés à la prévention et au traitement des violences devient également obligatoire. Ce thème devra être abordé lors de l’entretien de « parcours professionnel » prévu par le code du travail (article 40).
L’article 41 renforce le rôle du référent en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en le rendant obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. Il garantit à ce référent un droit à la formation continue, financée par l’employeur, et lui permet de s’absenter pour se former sans pénalisation.
Le texte impose au ministère du travail d’établir un protocole-type de signalement et de traitement des violences sexistes et sexuelles en entreprise (article 43). Ce document devra être mis à disposition dans les six mois suivant la promulgation de la loi et fixera une procédure claire pour accompagner les victimes et les employeurs.
L’article 42 prévoit l’élaboration d’un document-type comportant les droits et numéros utiles, afin de protéger les travailleurs à domicile contre les violences sexistes et sexuelles commises par les employeurs.
L’article 44 étend les pouvoirs de l’inspection du travail pour mieux protéger les salariés à domicile, en particulier ceux qui résident chez leur employeur « particulièrement vulnérables » souligne Karim Benbrahim, député socialiste de Loire-Atlantique, en l’absence de « collègue, témoin et de hiérarchie ». Le texte autorise les inspecteurs du travail à intervenir et enquêter au domicile des particuliers-employeurs.
Sur le volet de l’accompagnement, la proposition de loi crée une autorisation d’absence rémunérée pour effectuer des démarches judiciaires, médicales, psychologiques, administratives, sociales ou professionnelles liées à des situations de violences sexistes et sexuelles (article 46).
« Le travail, lorsqu’il y a des violences conjugales, peut être un lieu où l’on aide les victimes à s’en sortir », estime Myriam Lebkiri qui alerte sur la réduction des subventions aux associations. « Or, elles sont primordiales », insiste-t-elle. La secrétaire confédérale de la CGT s’inquiète de « l’impact de la précarité économique des femmes et de l’austérité qui ne leur permet pas de fuir les violences ».
Reste à savoir si ce texte, qui embrasse toutes les sphères où s’exercent les violences – justice, police, protection des enfants, santé, travail et lutte contre les cyberviolences -, parviendra à être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans un contexte politique tendu.

