Reproches, tensions d’équipe, défiance : les sources de conflit se multiplient dans les entreprises françaises. Selon une enquête OpinionWay de 2021, 69 % des salariés ont déjà été confrontés à une situation de conflit au travail, dont 25 % de façon régulière. Face à ce constat, la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps) a publié le 25 septembre un guide pratique pour désamorcer ces situations.
« Le conflit ne doit pas être perçu uniquement comme un risque ou un échec, mais comme un moteur de transformation s’il est reconnu et traité avec méthode », souligne Isabelle Tarty, présidente de la Firps et consultante senior au sein d’IAPR-Oasys. En clair, il s’agit d’éviter les stratégies d’évitement pour en faire un système gagnant-gagnant. Ce livret, qui s’appuie sur les retours d’expérience de 19 cabinets membres, propose des repères concrets pour outiller managers, DRH et partenaires sociaux.
Les tensions au travail se sont aggravées depuis la crise sanitaire. « On observe une augmentation de la conflictualité », constate Jean-Christophe Vilette, directeur associé du cabinet Ekilibre conseil. Cette hausse s’accompagne d’une « diminution des ressources de régulation », les équipes ayant perdu une partie de leurs repères collectifs.
Mal gérés, ces conflits se traduisent par du stress, de l’absentéisme et du désengagement, fragilisant durablement la santé mentale des salariés et la cohésion des organisations. Dans 30 à 40 % des cas, ils constituent même une cause de démission.
Le guide de la Firps identifie trois approches distinctes selon la nature et le stade d’évolution des conflits :
- La régulation d’équipe
Premier niveau d’intervention, elle vise à redonner « du cadre, du temps et du souffle » pour créer une coopération saine. « Ce n’est ni une thérapie ni un défouloir, mais la création d’un espace de travail sécurisé », précise Jean-Christophe Vilette. Cette méthode permet de réviser des règles devenues obsolètes et de réinstaurer un dialogue constructif.
- La médiation d’entreprise
Elle s’adresse aux conflits interpersonnels cristallisés. Avec l’aide d’un tiers neutre, elle permet de « revisiter la relation, clarifier les besoins et ouvrir un chemin vers un accord ». Condition indispensable : l’acceptation des parties et leur reconnaissance d’une co-responsabilité dans le conflit.
Les causes sont souvent organisationnelles : processus mal expliqués, périmètres flous, dysfonctionnements managériaux. « La plupart des conflits ne sont pas causés par les personnes mais par d’autres raisons », observe Isabelle Tarty.
- La gestion des conflits claniques
Cas le plus complexe, elle intervient quand des groupes s’affrontent au sein de l’organisation. « Ce n’est plus seulement une relation qui se tend, mais un système de représentations qui se rigidifie », analyse Kevin Audureau, du cabinet Uside. Cette approche nécessite une « analyse fine » et un « travail patient de déconstruction des clivages ».
Les experts reconnaissent que certaines situations restent insolubles. « Quand on est face à des personnalités difficiles, à des manipulateurs notoires, la médiation ne peut pas fonctionner », admet Isabelle Tarty. Dans ces cas, « la séparation peut s’avérer nécessaire pour préserver le collectif », estime Brigitte Vaudolon, directrice générale de Pulso France.
Autre écueil : l’absence de suivi. « On peut obtenir un bénéfice au moment de la réunion de clôture, mais sans rendez-vous de contrôle à trois ou six mois, l’effort de coopération ne se maintient pas », prévient Jean-Christophe Vilette qui conseille de mettre en place des indicateurs de suivi.
Les consultants insistent également sur l’importance de la transparence. Ils refusent d’intervenir quand ils soupçonnent des manipulations ou un manque d’informations de la part de l’employeur.
Cette approche méthodologique marque une évolution dans la gestion des ressources humaines, où le conflit commence à être perçu non plus comme un tabou mais comme un révélateur des dysfonctionnements de l’organisation du travail qu’il est nécessaire de corriger.
