Dans son arrêt du 4 septembre 2025, destiné à la publication au Bulletin de ses chambres civiles, la Cour de cassation apporte une précision intéressante sur la date jusqu’à laquelle l’inspecteur du recouvrement peut modifier le fondement juridique du redressement envisagé à l’issue d’un contrôle Urssaf sans que la procédure de contrôle soit viciée et le redressement annulé en conséquence.
Dans cette affaire, la société contrôlée s’est vue notifier un redressement, l’Urssaf considérant qu’elle a appliqué à tort une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels (DFS) au titre de ses salariés exerçant les fonctions de rédacteurs graphiques, directeurs artistiques, directeurs artistiques adjoints, chefs de studio et illustrateurs graphiques.
► Pour rappel, l’employeur peut appliquer une DFS si deux conditions cumulatives sont remplies :
- les salariés concernés exercent l’une des professions listées à l’article 5 de l’annexe IV du CGI dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000 ;
- les salariés concernés supportent effectivement des frais lors de leur activité professionnelle. La seule appartenance à l’une des professions concernées ne suffit pas à permettre le bénéfice de la DFS, l’employeur devant disposer de justificatifs (bulletin officiel de la sécurité sociale, 2120 et suivants; arrêt du 14 mars 2022).
Pour fonder sa décision de redressement, l’inspecteur du recouvrement a indiqué dans la lettre d’observations adressée à la société à l’issue du contrôle que la DFS n’était pas applicable faute pour les salariés concernés d’avoir la qualité de journaliste. Cette profession fait en effet partie de celles ouvrant droit à DFS.
Ce n’est que lors des débats devant la commission de recours amiable que l’Urssaf a relevé qu’en outre, la société n’avait pas justifié que les salariés en cause exposaient effectivement des frais notoirement supérieurs à la moyenne.
Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Versailles a reconnu aux salariés concernés la qualité de journaliste mais elle a décidé que la DFS ne leur était pas applicable car il n’était pas justifié qu’ils exposaient, dans l’accomplissement de leur mission des dépenses notoirement supérieures à la moyenne (arrêt du 15 septembre 2022, voir en pièce jointe).
Les juges du fond pouvaient-ils statuer ainsi, alors que l’argument portant sur l’absence d’engagement de frais supplémentaires avait été présenté pour la première fois devant la commission de recours amiable ?
Non, répond la Cour de cassation : l’Urssaf peut modifier le fondement juridique du redressement jusqu’à la délivrance de la mise en demeure mais cette possibilité est soumise à certaines conditions, qui n’étaient pas remplies en l’espèce.
Ainsi, pour la Haute Juridiction, si l’Urssaf peut modifier le fondement juridique du redressement jusqu’à la délivrance de la mise en demeure, c’est à la condition que le cotisant en ait été informé et ait été en mesure de présenter ses observations et de fournir les pièces justificatives nécessaires.
Or, en l’espèce, la cour d’appel avait constaté que l’existence d’engagement de frais supplémentaires n’avait pas été invoquée par l’Urssaf dans sa lettre d’observations pour fonder le redressement. La société contrôlée n’avait donc pas été mise en mesure de répondre sur ce point et de fournir les justificatifs de ces dépenses le cas échéant. La décision des juges du fond est donc cassée.
La solution n’est pas surprenante : elle trouve son explication dans le respect du principe du contradictoire qui guide toute la procédure de contrôle Urssaf au travers des dispositions de l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale.
Selon ce texte, la réception de la lettre d’observations ouvre une période contradictoire préalable à l’envoi de toute mise en demeure, pendant laquelle l’employeur peut répondre aux observations de l’Urssaf et obtenir une réponse à ses remarques. Si le contrôle aboutit à un redressement, la mise en demeure ne peut pas être envoyée avant la fin de cette période contradictoire, à peine de nullité (arrêt du 4 mai 2017).
► En pratique, si une lettre d’observation retenant un redressement a déjà été envoyée et que l’inspecteur du recouvrement veut, pour maintenir ce redressement, invoquer un autre fondement juridique, il doit, selon nous, envoyer une nouvelle lettre d’observations ou une lettre d’observations rectificative faisant état de ce nouveau fondement juridique en permettant au cotisant de présenter ses observations dans les délais habituels et en lui demandant, le cas échéant, les pièces justificatives nécessaires. Seule cette méthode nous semble permettre le respect du principe du contradictoire.
La Cour indique, pour finir, qu’après la délivrance de la mise en demeure, l’Urssaf ne peut plus modifier le fondement du redressement. La solution là encore est logique, la période contradictoire et la possibilité subséquente pour le cotisant de répondre aux observations de l’Urssaf ayant pris fin avec cet évènement, comme indiqué plus haut.
