La Défenseure des droits, dans une décision du 1er septembre 2025, reconnaît l’existence d’une discrimination fondée sur le handicap d’un salarié. En l’espèce, le salarié subit plusieurs opérations chirurgicales en raison d’une hernie discale. Il est placé en mi-temps thérapeutique à la suite de sa première opération, et est reconnu travailleur handicapé (RQTH) à la suite de la seconde. Il se voit par la suite confier de moins en moins de travail, ne bénéficie plus d’aucune formation et subit un ralentissement de carrière. Il alerte ses responsables de la situation et de la dégradation de son état de santé qui en découle, mais aucune mesure n’est jamais prise par l’employeur pour y remédier.
Le salarié adresse une réclamation à la Défenseure des droits. Après une tentative de règlement amiable infructueuse, cette dernière a investigué pour déterminer si oui ou non le salarié était victime de discrimination.
Le salarié avait une évolution de carrière satisfaisante jusqu’à l’annonce de sa RQTH à son employeur. La Défenseure des droits constate que le salarié rapporte des éléments de fait consécutifs à cette annonce de RQTH, susceptibles de constituer une discrimination :
- une diminution de 3 501 euros entre le montant des augmentations individuelles de la période précédant la RQTH du salarié et la période de même durée qui a suivi ;
- le sujet de l’évolution du salarié vers le statut de cadre a été évoqué pendant dix ans sans que celui-ci n’y accède. Il travaillait pourtant depuis plusieurs années parmi les cadres et assistait avec eux aux réunions. L’accord d’entreprise prévoyait également une obligation pour l’employeur de mettre en place des mesures appropriées pour « garantir l’équité de traitement des [salariés] en situation de handicap pour l’accès à la promotion, en tenant compte des particularités liées à la situation de handicap [du ou de la salariée] » , ainsi qu’un suivi spécifique des promotions pour ces salariés ;
- le salarié a été privé d’entretiens individuels et d’objectifs pendant plusieurs années, à compter de sa RQTH ;
- il ne bénéficiait plus d’aucune formation de nature à maintenir son employabilité.
La Défenseure des droits analyse ensuite les explications apportées par l’employeur et estime qu’elles ne sont pas de nature à justifier que ces faits sont étrangers à toute discrimination. Elle relève notamment que :
- sur la question des augmentations individuelles, la société se contente de contester la matérialité des éléments de présomption apportés par le salarié ;
- sur la question de l’absence d’évolution vers le statut de cadre, l’employeur ne parvient pas à démonter que le salarié effectuait des tâches différentes des autres cadres de l’équipe, ce qui aurait pu justifier son statut de non-cadre. Il prétend ensuite que le salarié n’avait pas encore les compétences pour accéder à ce statut, alors que cela n’apparaissait dans aucun entretien d’évaluation, et que la société n’avait jamais rien mis en place pour qu’il acquière effectivement ces compétences ;
- sur la question de la privation d’entretiens individuels et d’objectifs, la société prétend que les autres salariés n’ont pas davantage bénéficié de ces entretiens, sans toutefois en rapporter la preuve ;
- Enfin, concernant la question de l’absence de formation, la Défenseure des droits rappelle que l’employeur a l’obligation de veiller au maintien de la capacité du salarié a occuper un emploi, peu important que celui-ci n’ait émis aucune demande de formation au cours de l’exécution de son contrat de travail (arrêt du 18 juin 2014). En l’espèce, la société prétendait que le salarié avait bénéficié de formations. Les formations en question étaient les suivantes : « visa égalité professionnelle », « agir contre le sexisme ordinaire », « découvrir les fondamentaux de la cybersécurité », « faire ses premiers pas avec les IA génératives d’Y ». La Défenseure des droits considère que ces formations ne sont pas personnelles et ne permettent pas de maintenir l’employabilité d’un salarié.
En l’absence de justification recevable de la part de la société, la Défenseure des droits en conclut que le ralentissement de carrière et le maintien du salarié au statut de « non-cadre » sont donc fondés sur son handicap et son état de santé et constituent des mesures discriminatoires.
La Défenseure des droits rappelle qu’un harcèlement moral peut être constitutif d’une discrimination s’il est lié à un critère de discrimination prohibé selon l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008. Cette solution a déjà été retenue par la Cour de cassation dans sa jurisprudence (par exemple : arrêt du 14 novembre 2024).
Elle rappelle également que la Cour de cassation considère que le fait de laisser un salarié sans travail est un élément laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral (arrêt du 29 juin 2011).
En l’espèce, le salarié a été laissé sans travail à compter de l’annonce de sa RQTH, si bien qu’il rapportait n’avoir pas plus de 40 minutes de travail par jour. Malgré cela, et le fait qu’il en ait alerté la direction, un nouveau collaborateur a été recruté dans l’équipe. Ce n’était donc pas en raison d’un manque de travail dans l’entreprise que le salarié était laissé sous-occupé. Il existait donc bien des faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement discriminatoire.
La société affirmait qu’elle avait mis en place un tutorat, mais n’apportait pas de preuve de ses dires. Elle n’était capable de fournir aucune explication concrète concernant la sous-charge de travail et l’embauche d’un autre salarié. La Défenseure des droits en conclut qu’en l’absence de preuve contraire, ces agissements sont donc constitutifs d’un harcèlement moral discriminatoire.
La Défenseure des droits rappelle enfin que l’employeur a l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver santé et la sécurité des salariés (articles L.4121-1 et suivants du code du travail). Dans ce cadre, il est notamment tenu à une obligation de prévention du harcèlement (article L.1152-4 du code du travail). Il ne peut s’exonérer de cette obligation de protection qu’en démontrant qu’il a pris toutes les mesures de prévention et a réagi à la situation de harcèlement (arrêt du 25 novembre 2015).
En l’espèce, le salarié avait alerté à de nombreuses reprises l’employeur sur sa situation, et a rencontré plusieurs fois les responsables RH à ce propos. L’employeur n’a cependant jamais donné suite à ces alertes. L’état de santé du salarié s’est dégradé, et il a été placé en arrêt maladie à plusieurs reprises.
La Défenseure des droits constate que la société n’avait pris aucune mesure pour prévenir ni faire cesser la situation de harcèlement discriminatoire. Elle en conclut que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité à l’égard du salarié.
En l’espèce, la Défenseure des droits recommande à l’employeur de se rapprocher du salarié pour procéder à une juste réparation de son préjudice et envisager les possibilités d’évolution au statut de cadre. Elle recommande également de modifier ses pratiques en procédant à une formation des salariés au droit de la non discrimination. Elle demande également à l’employeur de rendre compte des suites données à ces recommandations dans les trois mois à compter de la date de notification de sa décision.
► Les décisions de la Défenseure des droits n’ont pas de valeur obligatoire, mais visent à inciter à un règlement de la situation par l’employeur. A défaut, la décision pourra servir d’argument au salarié pour obtenir des dommages et intérêts devant le juge.
Cette décision rappelle qu’il est plus prudent pour l’employeur de prendre en compte toute alerte de discrimination ou de harcèlement portée à sa connaissance. A cet effet, il est par exemple possible de réaliser une enquête interne pour évaluer la nature et la réalité des faits qui lui sont rapportés.

