Le projet de loi « de lutte contre les fraudes fiscales et sociales » a été présenté mardi 14 octobre en Conseil des ministres en même temps que les projets de lois de finances. Beaucoup moins médiatisé, il prévoit pourtant des procédures très techniques à disposition des administrations et prend le relais de trois lois déjà publiées depuis 2022, notamment celle du 30 juin 2025 sur la fraude aux aides publiques. Le Conseil d’Etat a émis plusieurs réserves et suggéré au gouvernement de modifier le texte, en particulier sur l’assurance chômage, la formation et le travail dissimulé.
► Obligation de versement de l’allocation sur un compte bancaire en France ou dans l’Union européenne (art. 13)
Le projet de loi prévoit que lorsqu’elles sont soumises à condition de résidence en France, les allocations d’assurance chômage, de solidarité, des travailleurs indépendants et les autres allocations et indemnités de régimes particuliers (article L. 5421-2 du code du travail) sont exclusivement versées sur des comptes domiciliés en France ou dans l’espace unique de paiement en euros de l’UE et identifiés par un numéro national ou international de compte bancaire.
► Interdiction du cumul entre revenu de remplacement et allocation chômage (art. 14)
Un nouvel article L. 5425-1-1 serait inséré au code du travail, prévoyant que les allocations ne peuvent pas être cumulées au titre d’une même période avec des sommes soumises à l’impôt sur le revenu. Le projet d’article 14 impose également à l’administration fiscale d’informer France Travail de l’existence de tels revenus.
Selon l’avis du Conseil d’Etat, la première version de cette mesure n’établissait pas assez précisément l’origine des revenus concernés par l’interdiction de cumul ni la manière dont France Travail était informé de leur existence. Le texte a donc été modifié puis de nouveau soumis au Conseil d’Etat qui lui accorde désormais son approbation.
► Fraude aux allocations : une saisie à tiers détenteur pour France Travail (art. 27)
France Travail pourrait désormais utiliser la saisie administrative à tiers détenteur afin de recouvrer des allocations chômage en retenant la totalité des versements à venir. Cette procédure, issue de l’article L. 262 du Livre des procédures fiscales, permet à son détenteur (ici, France Travail), sur simple demande, d’obliger un tiers à lui verser les fonds qu’il détient afin de recouvrer sa créance. Au lieu de tenter de récupérer les fonds auprès des assurés, il s’agit ici de les saisir avant leur versement.
S’il n’en conteste pas le fond, le Conseil d’Etat suggère au gouvernement de préciser cette mesure par décret afin de fixer les conditions dans lesquelles sont désignés les agents placés sous l’autorité du directeur général de France Travail habilités à mettre en œuvre cette procédure.
Concernant la possibilité de retenir la totalité des allocations chômage, il constate « qu’aucun élément de l’étude d’impact ne permet d’apprécier l’importance des situations, vraisemblablement marginales » et que « le Gouvernement n’a pas été en mesure de lui apporter plus d’informations au cours de l’examen du projet de loi ». Il souligne ensuite les difficultés d’articulation de la mesure avec la garantie à un niveau de ressources minimal. Il suggère donc de ne pas retenir cet aspect de la mesure.
► Inscription obligatoire aux examens en cas de recours au CPF (art. 13)
L’article 13 imposerait aux ministères et organismes certificateurs de communiquer au système d’information du CPF des informations relatives aux personnes inscrites ou présentes à une session d’examen de la certification ou du bloc de compétences. Il rendrait obligatoire l’inscription et la présentation à l’examen en cas de mobilisation des fonds du CPF.
► Une contrainte accordée au directeur général de la Caisse des dépôts en cas de fraude au CPF (art. 25)
Le directeur de la Caisse des dépôts et consignations se verrait accorder un droit à contrainte afin de recouvrer les sommes correspondantes aux droits à formation indûment mobilisés par le titulaire du compte personnel de formation. La contrainte est une procédure extrajudiciaire destinée à accélérer le recouvrement des cotisations et majorations impayées, sans saisine préalable du juge, en étant notifiée par tout moyen permettant de prouver sa réception ou signifiée par acte d’huissier ou de commissaire de justice.
► Anonymat des agents de contrôle (art. 11)
Le projet permettrait aux agents de contrôle de la formation professionnelle d’opérer sous une identité d’emprunt ou de manière anonyme lorsqu’ils contrôlent des organismes proposant des formations entièrement dématérialisées.
► Transmission de données des centres de formation des apprentis (art. 16)
Selon le projet, les centres de formation des apprentis seraient contraints de transmettre les données issues de la mise en œuvre de leur comptabilité analytique à France compétences. Si la comptabilité n’est pas tenue par un comptable public, ils devraient également transmettre l’attestation du commissaire aux comptes ou à défaut de l’expert-comptable d’une attestation reconnaissant la fiabilité des données comptables transmise. Cette mesure serait sanctionnée d’une amende de 4 000 € par manquement. L’article 16 instaure enfin un régime de sanctions administratives au bénéfice des services régionaux de contrôle en cas de manquement des organismes de formation professionnelle à leurs obligations.
Le Conseil d’Etat propose en complément d’interdire que des poursuites pénales et administratives puissent être déclenchées pour les mêmes faits et de permettre l’information réciproque des autorités concernées.
► Délai de reprise applicable (art. 24)
Le droit de reprise permet à l’administration de réparer les omissions ou erreurs affectant l’assiette ou le recouvrement des impôts, taxes et redevances. Le projet de loi prévoit qu’il s’exercerait jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle de la clôture de l’exercice au cours duquel les fonds versés en vue du financement des actions et activités de formation, qui font l’objet de la reprise, ont été comptabilisés par l’entreprise ou par l’organisme. En cas de non-respect de deux au moins ses obligations par le centre de formation au cours des deux années précédant celle de la clôture de l’exercice, ce délai pourrait s’étendre jusqu’à dix ans.
► Procédure de flagrance sociale (art. 21)
Le projet de loi crée une procédure de flagrance sociale en cas de constat d’infractions à la législation sur le travail dissimulé. Il autorise le directeur de l’organisme de recouvrement, sur le fondement du procès-verbal de carence, à mettre en œuvre sans délai des mesures conservatoires permettant notamment de geler des avoirs financiers.
Par ailleurs, il rend immédiatement exécutoire la contrainte émise pour recouvrer la créance sociale résultant d’une telle infraction et crée un nouveau recours juridictionnel afin que le président du tribunal compétent puisse arrêter les effets de la contrainte sous certaines conditions dans le cas où une opposition à contrainte a été formée.
Le Conseil d’Etat pointe à ce sujet qu’à ce stade de la procédure, le bien-fondé et le montant de la créance peuvent encore être contestés et que les mesures conservatoires ont pour seule finalité de pallier l’existence d’un risque pour le recouvrement d’une créance. Il suggère au gouvernement d’encadrer les conditions dans lesquelles un agent de contrôle est autorisé à dresser un procès-verbal de flagrance sociale. A défaut, la mesure porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété au regard des objectifs poursuivis.
Concernant la suppression du caractère suspensif de l’opposition à contrainte en cas de travail dissimulé, le Conseil d’Etat propose qu’un décret en Conseil d’Etat précise la procédure applicable à cette nouvelle voie de droit.
► Solidarité financière entre sous-traitants et donneurs d’ordre (art. 22)
Le projet de loi étend l’obligation de vigilance (article L. 8222-1 du code du travail) au maître de l’ouvrage afin d’améliorer les perspectives de recouvrement en cas de sous-traitance en cascade. Il élargit par suite la solidarité financière entre donneur d’ordre et sous-traitants qui découle du manquement au devoir de vigilance. En revanche, le recouvrement des majorations appliquées au titre du travail dissimulé dans le cadre de la solidarité financière serait supprimé si le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre paie les sommes dues au principal dans un délai défini par décret en Conseil d’Etat.
► Champ des fraudes, sur-cotisations (art. 12)
Le projet de loi étend le champ des fraudes pouvant être constatées au sein de la branche accidents du travail – maladies professionnelles. Il ajoute au dispositif de pénalités financières du code de la Sécurité sociale, un motif relatif aux fausses déclarations ou faux documents produits dans le but de percevoir une incitation financière indue au titre du FNPAT (fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), du FIPU (Fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle) ou des ristournes de cotisations.
Il propose d’étendre le pouvoir des ingénieurs conseils et contrôleurs de sécurité des CARSAT au constat des abus, des fautes ou des fraudes aux incitations financières versées par la branche ATMP avec extension du droit de communication. Les pénalités sont de plus étendues aux travailleurs indépendants.
Afin de renforcer les sanctions des sous-déclaration des ATMP, le projet ajoute un motif supplémentaire au dispositif de pénalités financières de l’article L. 114-17-1 ainsi que le cas où le non-respect des obligations prive une personne de son droit à la couverture AT-MP (sur-cotisation des entreprises). Et si celle-ci concerne plusieurs organismes, une commission de pénalité de l’un d’eux pourra être mandatée pour le compte des autres organismes.
L’employeur qui méconnaît son obligation de dématérialisation de la notification de taux ATMP subirait une majoration de cotisation et non plus une pénalité.
Mesures diverses mais non moins importantes…
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Le projet de loi prévoit également les mesures suivantes :
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